samedi 16 novembre 2013

Schopenhauer, Métaphysique de l'Amour, Extraits

Extrait de La Métaphysique de l'Amour de Schopenhauer :
 
 
.....Poursuivons : l'opération qui permet à la volonté de

s'affirmer et à l'homme de naître est un acte dont tous les

individus éprouvent une honte intime, dont ils se cachent

avec -soin, effrayés, si on les saisit sur le fait, comme s'ils

étaient surpris dans l'accomplissement d'un crime. C'est

une action dont la pensée n'excite, de sang-froid, que la

répugnance, et, dans des dispositions d'esprit plus élevées,

que l'horreur.

 

......Et cependant l'incessante répétition d'un acte de cette nature

est le seul, l'unique moyen qui assure l'existence de la race

humaine. - Si maintenant l'optimisme avait raison, s'il

nous fallait reconnaître avec gratitude dans notre existence

le don gracieux d'une suprême bonté guidée par la sagesse,

par suite un don en lui-même digne d'éloges, une source

de gloire et de joie, alors l'acte destiné à la perpétuer devrait

revêtir vraiment une apparence tout autre. Cette existence

n'est-elle au contraire qu'une sorte de faux pas, ou de

fausse route, est-elle l'œuvre d'une volonté originellement

aveugle, dont le développement le plus heureux consis-

terait à revenir à elle-même, pour se supprimer de son

propre mouvement, alors l'acte qui perpétue cette existence

doit avoir exactement l'apparence qu'il a.

 

......Ici doit se placer une remarque relative à la vérité pre-

mière et fondamentale de ma doctrine : la honte signalée

plus haut comme provoquée par l'acte de la génération

s'étend même aux parties qui servent à l'accomplir, quoique

la nature nous les ait données dès la naissance, comme tous

les autres organes. C'est encore une preuve frappante que,

non seulement les actions, mais déjà même le corps, de

l'homme se peut regarder comme la forme phénoménale,

comme l'objectivation et l'œuvre de sa volonté. Car l'homme

pourrait-il rougir d'une chose qui existerait sans sa volonté?

 

 

....Cette propriété n'explique pas moins qu'il est le grand

"arrètov", (mot grec) le secret de polichinelle, dont il n'est permis de

parler expressément en aucun temps et en aucun lieu, mais

qui toujours et partout s'entend de lui-même comme la

chose capitale, pensée toujours présente à l'esprit de tous

et qui fait saisir sur-le-champ la moindre allusion à ce sujet.

Puisque partout les uns pratiquent et les autres supposent

des intrigues d'amour, le rôle principal que joue dans le

monde cet acte et tout ce qui s'y rattache répond bien à

l'importance de ce punctum saliens de l'œuf du monde. Le

côté plaisant de la chose, c'est le perpétuel mystère dont on

entoure cette opération, intéressante pour nous entre toutes.

Mais voyez maintenant toute la frayeur de l'intellect

humain, jeune et innocent encore, épouvanté par l'énor-

mité de l'acte commis, quand pour la première fois ce

grand mystère du monde se découvre à lui. En voici la

raison: dans cette longue route que la volonté dépourvue

de connaissance dans le principe avait à parcourir, avant

de s'élever jusqu'à l'intellect, surtout jusqu'à l'intellect

humain et raisonnable, la volonté est devenue tellement

étrangère à elle-même, qu'elle ne connait plus son origine,

cette “pœnitmda origo”, et qu'en la considérant du point de

vue de la connaissance pure et innocente, elle est frappée

de terreur à ce spectacle.

 

....La volonté trouve son foyer, c'est-à-dire son centre et

sa plus haute expression, dans l'instinct sexuel et sa satis-

faction; c'est donc un fait bien caractéristique et dont la

nature rend naïvement compte dans son langage symbolique

que la volonté individualisée, c'est-à-dire que l'homme et

l'animal ne puissent entrer dans le monde que par la

porte des parties sexuelles.

 

 

 

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