vendredi 27 février 2009

J.-F.Revel, Sur la Révolution chilienne

Nice-Matin, 6 sept. 1983

[Que n'a-t-on pas écrit ou dit, à la suite de la prise du pouvoir, par coup d'État, du général Augusto Pinochet ! C'était le 11 septembre 1973. Très peu de temps après, le "candidat permanent de la gauche" s'était à cette occasion fendu d'un texte d'ailleurs très sobre - mais tellement biaisé, avec le recul - qu'il avait fait graver sur un quarante-cinq tours, avec des chants révolutionnaires chiliens, lequel disque fut vendu sous la marque de la "Rose au poing". Naturellement, c'était bien du fascisme ; mais de là à accepter d'analyser sereinement les causes de ce renversement par la force (et le sang)... Aujourd'hui encore, il me semble qu'il est trop tôt ; il y a vingt ans, dans un article aussi lumineux que pondéré - comme toujours - Revel pensait déjà qu'il était trop tôt... C'est que certaines œillères sont particulièrement épaisses. Alors, puisque ne manquera pas, comme chaque année, d'être célébrée cette authentique défaite d'une gauche échevelée et tyrannique, peut-être n'est-il pas inutile de relire cette prose dense et scrupuleusement honnête, celle de J. F. Revel...].

Au moment du dixième anniversaire du coup d'État qui a ravi à Salvador Allende à la fois son pouvoir et la vie, et au peuple chilien la démocratie, l'heure est-elle venue de tenter une analyse sérieuse de la tragédie de 1973 et de ses causes ? J'en doute. Les passions, les barrières idéologiques, l'interdisent encore, je le crains. La gauche internationale, depuis dix ans, s'en tient à une version des faits et à une seule : Allende a été renversé et assassiné par un complot militaro-fasciste soutenu par les États-Unis, et quiconque veut établir le bilan des responsabilités du gouvernement de l'Unité populaire se voit aussitôt accusé de complicité avec Pinochet.

La gauche, dans le monde entier, désirait tant voir une expérience de socialisme démocratique réussir enfin ; elle avait tant dit que la prudence d'Allende au Chili constituait cette expérience, qu'il lui fut impossible d'en attribuer l'échec à autre chose que des causes purement artificielles. Pourtant, bien avant le coup d'État, tous étaient au courant de la détérioration de la situation à la fois économique et politique. On savait combien étaient graves l'inflation, démentielle même pour l'Amérique latine, la pénurie alimentaire, le rationnement, les grandes manifestations des camionneurs manquant de pièces détachées ou de ménagères tapant sur les casseroles, parce qu'elles ne trouvaient plus au marché de quoi les remplir. Mais la gauche ne manquait pas d'explications rassurantes pour tout cela : le chaos économique provenait du complot des multinationales et des banques organisant le "blocus" du Chili et lui coupant ses lignes de crédit pour l'asphyxier.

Quant aux manifestants, ils étaient de toute évidence lancés dans la rue par la C.I.A. Or, en admettant même que des services spéciaux étrangers aient pu noyauter les manifestants, on voit mal comment des dizaines de milliers de citoyennes et de citoyens des couches incontestablement moyennes et modestes auraient pu ainsi être mobilisés sans être poussés par un authentique mécontentement populaire. La thèse est absurde et d'ailleurs anti-marxiste.
Lorsque les mineurs des mines de cuivre que l'Unité populaire avait achevé de nationaliser (le processus avait commencé auparavant, sous la présidence démocrate-chrétienne d'Eduardo Frei) se sont mis en grève contre le régime, j'ai rencontré des socialistes à Paris pour m'expliquer que ces ouvriers avaient été soudoyés par l'ambassade des États-Unis ! Quant aux lignes de crédit, il y a longtemps qu'on a démontré qu'elles n'avaient jamais été réellement coupées. Les dettes chiliennes avaient été plusieurs fois rééchelonnées, de nouveaux crédits consentis et, quand Allende a été assassiné, il disposait, ô paradoxe ! de plus de facilités en devises fortes qu'aucun de ses prédécesseurs. La faillite économique résulta donc bien plus de causes internes que de causes externes.

Il en va de même pour la faillite politique, la décomposition de l'État, les illégalités nombreuses qui avaient déjà faussé le fonctionnement de la démocratie avant que l'armée ne l'achève. Quand Pinochet a tué la démocratie au Chili, elle était déjà morte. Le pays était dans une situation de pré-guerre civile. Le régime avait au début cherché en toute bonne foi à tracer un chemin légal vers le changement de société. Le pouvait-il, étant donné qu'Allende n'avait été élu qu'avec 36 % du vote populaire ? Très vite il se heurta donc à des résistances dans la société civile et tenta de les surmonter en poussant le prolétariat urbain à un comportement révolutionnaire de "rupture".

L'Unité populaire se mit à combattre non seulement les groupes privilégiés mais les classes moyennes, détruisant un capital humain rare en Amérique latine et qui s'était formé au moyen d'une lente maturation. Plus qu'un moyen de distribution des denrées, le rationnement devint un instrument de surveillance et de mise en fiches des personnes. Des milliers de révolutionnaires professionnels étrangers, en provenance du continent latino-américain et d'autres continents, s'infiltrèrent, avec la complicité du gouvernement, dans toutes les activités pour les diriger suivant des normes purement politiques qui annonçaient le parti unique. L'armée même ne fut pas à l'abri de la subversion souterraine, au moment même où Allende, en avril 1973, nommait des généraux dans son gouvernement pour qu'ils l'aidassent à surmonter le chaos où s'effondrait le pays.

L'école publique fut soumise à un monolithisme idéologique et autoritaire. C'est que le parti socialiste chilien, et en particulier son aile gauche, le M.I.R., n'étaient nullement réformistes ou sociaux-démocrates. Le parti était marxiste-léniniste dans sa doctrine et assez peu différent par ses méthodes de son allié communiste.

À la veille du coup d'État, Salvador Allende ne pouvait déjà plus maintenir au pouvoir de façon démocratique l'Unité populaire telle qu'il l'avait constituée. Il envisagea un gouvernement d'union nationale avec la démocratie chrétienne, solution qui fut repoussée par le parti socialiste et le parti communiste. Il songea à un référendum qu'il eût inévitablement perdu, car les prétendus gains électoraux réalisés par l'Unité populaire aux élections municipales de mars 1973 avaient été dus en partie à la fraude et ne lui avaient pas donné même ainsi la majorité.

Restaient possibles soit la guerre civile, soit le passage au système totalitaire du parti unique de type castriste, ce qui eût exigé l'appui d'au moins une partie de l'armée, soit le putsch dans un sens fasciste, On sait que, malheureusement, c'est cette dernière issue qui prévalut. Mais les deux autres n'auraient pas été moins catastrophiques.

Aujourd'hui, alors que Pinochet vacille, qu'il est contraint à son tour d'évoluer, de même d'ailleurs que d'autres dictatures de droite, en Argentine, en Turquie, au Pakistan, souhaitons que la gauche se montre capable de saisir à nouveau cette chance historique sans démence idéologique, dans le cadre d'un retour " à l'espagnole " vers la démocratie.

Origine : http://chezrevel.net/quand-le-general-pinochet-a-tue-la-democratie-elle-etait-deja-morte/

Pio Moa Interview

Pio Moa est l'auteur de La Guerre d'Espagne, Tallandier, 2003

NRH : Selon la thèse la plus répandue, la guerre civile espagnole serait la conséquence de l’agression unilatérale de l’armée et d’une minorité de fascistes appuyés par l’église catholique contre le peuple , la démocratie et la république. Qu’en pensez-vous ?

PM : La guerre civile à pour origine l’effondrement de la légalité républicaine. Mais ce sont les principaux partis de gauche qui en sont responsables, en ayant planifié la guerre civile, la révolution et la liquidation de la république bourgeoise. Apres une première tentative d’insurrection armée contre le gouvernement légitime en 1934, ils sont arrivés au pouvoir en février 1936 en raison de la loi électorale, mais avec un nombre de voix sensiblement égal. Ils déclenchèrent alors un nouveau processus révolutionnaire que le gouvernement républicain ne pu ni ne voulu enrayer. Dans cette situation, les partis de droite n’eurent que deux solutions : se rebeller ou accepter leur liquidation politique et physique.

NRH : Qui sont les principaux responsables du conflit ? Franco est-il le premier coupable ?

PM : Les responsables les plus directs furent les socialistes (PSOE, le principal parti de gauche) et les nationalistes catalans d’Esquerra Catalana ; Lorsqu’en novembre 1933, la droite gagna les élections avec une large majorité, ces deux partis commencèrent à organiser littéralement la guerre civile. En octobre 1934, lors du soulèvement des Asturies, Franco et la droite défendirent la légalité républicaine, en dépit de leur peu de sympathie pour une république anti-cléricale. Franco fut un des derniers a se soulever, pour s’oppose a un processus révolutionnaire. La guerre civile ne fut pas une guerre entre démocrates et fascistes. Pendant toute la durée de la république, les droites furent modérées et légalistes, a l’exception de la minorité monarchiste et a partir de 1935 du petit groupe de la Phalange. En Espagne, la lutte opposa l’Espagne catholique, et par conséquent fort peu fasciste, à la révolution dans sa double version communiste et anarchiste.

NRH : Vous avez consacré une grande partie de vos travaux a la tentative de révolution socialiste de 1934.Pourquoi considérez vous que cet épisode est si important pour comprendre le soulèvement national de 1936 ?

PM : Le soulèvement de la gauche en 1934 fut le véritable début de la guerre civile. Il dura deux semaines et causa 1400 morts dans 26 provinces sur les 50 que compte l’Espagne. Si l’échec avait conduit les gauches a changer leur orientation en profondeur, la guerre civile n’aurait pas eclate en 1936. Or en 1936, elles s’empressèrent de créer une situation pré révolutionnaire.

NRH : Une fois la guerre civile déclenchée, l’attitude de la droite fut elle plus violente que celle de la gauche ? Y eut il par ailleurs une persécution religieuse ?

PM : La terreur fut analogue de part et d’autre. Cela se produit toujours ainsi lorsque la légalité s’effondre, et ce fut le cas dans beaucoup de pays d’Europe. Mais j’insiste, les responsables de cet effondrement furent indiscutablement les partis de gauche. En ce qui concerne la persécution religieuse, ce fut sans doute la plus sanglante de l’histoire, plus terrible que celle de la révolution Française ou même de la révolution soviétique.

NRH : Les brigades internationales sont souvent considérées comme le symbole de la liberté dans la lutte contre le fascisme. Que furent elles exactement, quel rôle jouèrent elles ?

PM : On sait très bien aujourd’hui qu’elles furent une armée du Komintern, c’est a dire de Staline. Leur principale contribution a la guerre fut celle de novembre 36 lorsqu’elles aidèrent a défendre Madrid qui était sur le point de tomber devant les troupes Franquistes . Ensuite, elles furent utilisées comme troupes de choc et subirent de lourdes pertes au combat mais aussi en raison des purges internes ordonnées par Staline. Elles contribuèrent a prolonger une guerre qui aurait pu être terminée en cinq mois.

NRH : Quelle fut la position des principales personnalités intellectuelles Espagnoles ?

PM : La guerre divisa l’Espagne en deux ; il en fut de même du monde intellectuel. La propagande de gauche prétend que presque tous les intellectuels appuyèrent le « peuple », c’est a dire les partis de gauche. Mais il n’en fut rien, il faut lire les opinions d’écrivains comme Ortega y Gasset, Maranon ou Perez de Ayala, qui étaient alors connus comme les pères spirituels de la république. Pendant la guerre civile, ils maudirent les partis de gauche en des termes que l’on ne retrouve même pas chez les Franquistes.

NRH : Pourquoi la perception du conflit a l’étranger est elle toujours aussi favorable au front populaire ?

PM : Parce que les Franquistes perdirent la bataille de la propagande et parce qu’a la fin de la seconde guerre mondiale on identifia plus ou moins Franco à Hitler ou Mussolini, alors qu’il avait maintenu l’Espagne neutre et que cette neutralité avait beaucoup plus bénéficié aux Allies qu'a l’Axe. Hors d’Espagne, et même en partie en Espagne, bien que cela soit de moins en moins vrai, l’interprétation la plus connue de la guerre civile est encore celle de la propagande communiste avec quelques variantes mineures.

NRH : Quelle est votre plus importante contribution à l’historiographie de la guerre civile Espagnole ?

PM : Je crois que c’est la démonstration que la guerre commença en 1934 et qu’elle fut décidée consciemment et délibérement par les principaux partis de gauche ; Cette décision ne fut pas prise pour affronter un danger fasciste qui n’existait pas, et dont les partis de gauche savaient qu’il n’existait pas, mais parce qu’ils étaient surs de gagner et de pouvoir enfin réaliser leurs objectifs maximalistes. Cette thèse peut être considérée aujourd’hui comme définitive.

NRH : Vous qui étés un ancien militant anti Franquiste, comment jugez vous aujourd’hui la dictature de Franco ?

PM : Malgré sa dureté au cours des années 40, le Franquisme a libéré l’Espagne de la révolution, de la guerre mondiale et de la pauvreté. Il a en outre légué une société modérée ; Ce n’est pas un mauvais bilan. Grâce a cela depuis un quart de siècle, nous vivons en démocratie.

NRH :Quel jugement portez vous sur votre militantisme communiste d’hier ?

PM : J’ai consacré beaucoup de mon temps à l’analyser. Nous luttions durement mais pour une cause néfaste. C’est une expérience vitale qui me permet de mieux comprendre aujourd’hui l’histoire, du moins je l’espère.

Origine : http://hoplite.hautetfort.com/archive/2006/11/25/retour-sur-la-guerre-civile-espagnole.html

Voir aussi : http://www.fonjallaz.net/Communisme/Memo/Espagne/Espagne-guerre-einstein.html

http://marxists.anu.edu.au/francais/broue/works/1961/00/PBET_Esp_intro.htm