mercredi 18 février 2009

Militant

Réflections de Manès Sperber sur sa vie de militant communiste.

« ….D’autres voulaient éliminer définitivement les ordres et les classes pour mettre un terme à la domination d’une catégorie sociale sur les autres. Pour la première fois, croyait-on, il était possible d’instaurer une communauté fraternelle de tous les hommes : on pourrait alors mettre les peuples à l’abri du pillage et de l’humiliation.

« J’appartiens moi-même à cette génération. Ils sont encore dans ma mémoire, intacts, cet appel qu’on nous avait lancé à tous, ce rêve d’une aube éternelle. Comme tant de mes pareils, j’ai moi aussi décrit nos espoirs, l’inconcevable démesure de nos certitudes. J’ai raconté comment était survenu ce profond traumatisme devenu inévitable, comment s’était ouvert ce clivage entre les promesses et leur accomplissement, comment nos objectifs avaient été écrasés par des moyens censés aider à les atteindre, mais qui, dans la réalité, transformaient toute chose en son contraire. »

« ….ils sont (mes compagnons) devenus les coupables victimes d’une tragédie aux allures de parodie. Ces révolutionnaires qui voulaient abolir une fois pour toutes de la surface de la terre toute espèce de contrainte menant à une soumission et à une adaptation inconditionnelle, acceptèrent pourtant de renoncer à leur propre pensée critique et de se soumettre entièrement à une direction qu’ils n’avaient pas du tout choisie eux-mêmes. »

Il n’existe qu’une seule porte pour quitter la Révolution. Elle ouvre sur le néant. Je me l’étais souvent représentée et cette idée m’emplissait d’angoisse. »

Un régime capable d’obtenir un tel résultat, et de le présenter au monde entier comme un triomphe de l’amour, de la paix et de l’humanisme socialiste – dans la liesse commandée de l’ensemble de la population bruyante de tous les communistes et de leurs sympathisants- un tel régime se révélait ainsi comme un modèle de totalitarisme. Dans le dialecte organique de mes douleurs cardiaques, s’exprimaient l’insupportable tourment, la honte infinie que m’inspirait le fait de m’être engagé en faveur d’un tel pouvoir, d’avoir gagné des partisans à sa cause, d’avoir tant négligé de choses pour lui. La chute m’emporta au plus profond de l’abyme. »

« Ceux qui attendent des miracles au lieu d’améliorer eux-mêmes leur existence portent au pouvoir des faiseurs de miracles qui se transforment assez rapidement en tyrans. »


« La tyrannie, ce n’est pas seulement le tyran, ce n’est pas lui seul avec ses complices, mais aussi les sujets, ses victimes qui en ont fait un tyran. »

« Sans la certitude et sans le courage d’être celui que l’on est, on n’est pas libre et on supporte difficilement que d’autres le soient. »

« L’aliénation non surmontée de soi-même lui donne envie de croire ces escrocs qui lui promettent d’abolir définitivement toute aliénation, toutes les limites de la liberté, toute l’injustice. »

« La liberté n’existe pas en dehors de ces relations qui la rendent possible, au sein desquelles on peut la conquérir et la perdre. Cela signifie que pour pouvoir parler de l’homme libre il faut qu’il existe une collectivité. L’homme devient libre contre la nature mais il n’est à la fois libre et lié que dans son rapport à la communauté.
Demeurer libre dans le lien et se lier à partir d’une liberté souveraine, ce sont des comportement caractéristiques de l’homme devenu libre. »

« Hormis là où manque le minimum vital, l’esitmation de soi a lieu sur la base d’une comparaison entre ce que l’on a et ce que d’autres n’ont pas, et plus encore, entre ce que d’autres ont et ce que l’on a pas soi-même. »

Manès Sperber.

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