Extait de La Pensée, de Leonide Andreiev (1871–1919)
« L’automne passé, par un jour ensoleillé, il me fut donné d’assister à la scène que voici : une petite fille vêtue d’un manteau melletonné et d’une capote qui ne laissait voir que ses joues roses et son nez menu, voulait s’approcher d’un minuscule petit chien aux pattes fines, au museau effilé, à la queue craintivement rabattue entre les jambes. Tout à coup elle fut prise de peur, se détourna et, comme une petite boule blanche, roula vers la bonne qui se trouvait là, puis, sans crier ni pleurer, elle cacha son visage dans les jupes de celle-ci. Et le petit chien clignait gentiment des yeux et agitait craintivement la queue, et le visage de la bonne était si bon, si simple !
« N’aie pas peur », disait la bonne : et elle me souriait de tout son visage candide et bon.
Je ne sais pourquoi, mais j’ai souvent revu ce tableau, quand j’étais en liberté, pendant que j’élaborais le plan du meurtre de Savielov. Et alors, en voyant ce gracieux groupe dans le clair soleil d’automne, j’avais un sentiment étrange : c’était comme si j’eusse trouvé la solution de je ne sais quel problème et l’assassinat que je projetais me semblait être un froid mensonge venu d’un autre monde, une monstruosité vide de sens. Le fait que tous les deux, l’enfant et le chien étaient si petits et si gracieux et qu’ils avaient si comiquement peur l’un de l’autre et que le soleil brillait si ardemment, tout cela était simple, plein d’une sagesse profonde et douce; on aurait dit que, dans la réunion de ces deux êtres, précisément, était renfermée la solution de l’énigme de l’existence. Voilà le sentiment que j’avais alors. Et je me disais : »Il faudra que je réfléchisse à cela. » Mais je n’ai pas touvé le temps d’y réfléchir. »
Leonide Andreiev, La Pensée.
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