.....Poursuivons : l'opération qui permet à la volonté de
s'affirmer et à l'homme de naître est un acte dont tous les
individus éprouvent une honte intime, dont ils se cachent
avec -soin, effrayés, si on les saisit sur le fait, comme s'ils
étaient surpris dans l'accomplissement d'un crime. C'est
une action dont la pensée n'excite, de sang-froid, que la
répugnance, et, dans des dispositions d'esprit plus élevées,
que l'horreur.
......Et cependant l'incessante répétition d'un acte de cette nature
est le seul, l'unique moyen qui assure l'existence de la race
humaine. - Si maintenant l'optimisme avait raison, s'il
nous fallait reconnaître avec gratitude dans notre existence
le don gracieux d'une suprême bonté guidée par la sagesse,
par suite un don en lui-même digne d'éloges, une source
de gloire et de joie, alors l'acte destiné à la perpétuer devrait
revêtir vraiment une apparence tout autre. Cette existence
n'est-elle au contraire qu'une sorte de faux pas, ou de
fausse route, est-elle l'œuvre d'une volonté originellement
aveugle, dont le développement le plus heureux consis-
terait à revenir à elle-même, pour se supprimer de son
propre mouvement, alors l'acte qui perpétue cette existence
doit avoir exactement l'apparence qu'il a.
......Ici doit se placer une remarque relative à la vérité pre-
mière et fondamentale de ma doctrine : la honte signalée
plus haut comme provoquée par l'acte de la génération
s'étend même aux parties qui servent à l'accomplir, quoique
la nature nous les ait données dès la naissance, comme tous
les autres organes. C'est encore une preuve frappante que,
non seulement les actions, mais déjà même le corps, de
l'homme se peut regarder comme la forme phénoménale,
comme l'objectivation et l'œuvre de sa volonté. Car l'homme
pourrait-il rougir d'une chose qui existerait sans sa volonté?
....Cette propriété n'explique pas moins qu'il est le grand
"arrètov", (mot grec) le secret de polichinelle, dont il n'est permis de
parler expressément en aucun temps et en aucun lieu, mais
qui toujours et partout s'entend de lui-même comme la
chose capitale, pensée toujours présente à l'esprit de tous
et qui fait saisir sur-le-champ la moindre allusion à ce sujet.
Puisque partout les uns pratiquent et les autres supposent
des intrigues d'amour, le rôle principal que joue dans le
monde cet acte et tout ce qui s'y rattache répond bien à
l'importance de ce punctum saliens de l'œuf du monde. Le
côté plaisant de la chose, c'est le perpétuel mystère dont on
entoure cette opération, intéressante pour nous entre toutes.
Mais voyez maintenant toute la frayeur de l'intellect
humain, jeune et innocent encore, épouvanté par l'énor-
mité de l'acte commis, quand pour la première fois ce
grand mystère du monde se découvre à lui. En voici la
raison: dans cette longue route que la volonté dépourvue
de connaissance dans le principe avait à parcourir, avant
de s'élever jusqu'à l'intellect, surtout jusqu'à l'intellect
humain et raisonnable, la volonté est devenue tellement
étrangère à elle-même, qu'elle ne connait plus son origine,
cette “pœnitmda origo”, et qu'en la considérant du point de
vue de la connaissance pure et innocente, elle est frappée
de terreur à ce spectacle.
....La volonté trouve son foyer, c'est-à-dire son centre et
sa plus haute expression, dans l'instinct sexuel et sa satis-
faction; c'est donc un fait bien caractéristique et dont la
nature rend naïvement compte dans son langage symbolique
que la volonté individualisée, c'est-à-dire que l'homme et
l'animal ne puissent entrer dans le monde que par la
porte des parties sexuelles.